La rénovation des bains-douches de la Butte-aux-Cailles : réhabiliter un service public mal connu

L’INTIME DANS UN LIEU PUBLIC – Le regard que l’on porte aux bains-douches municipaux oscille entre intérêt patrimonial et ignorance plus ou moins aveugle de leurs usages et de leurs usager.ère.s, comme tout ce qui touche à l’hygiène et à la précarité. La rénovation en cours des bains-douches de la Butte-aux-Cailles montre combien ces lieux remplissent pourtant une fonction essentielle de service public. Mais le modèle pourrait être réinventé afin de déstigmatiser celles et ceux qui les fréquentent.

Au cours d’une promenade de santé (réglementaire !), attirée par une œuvre de street art derrière les grilles de cet établissement balnéaire du XIIIe arrondissement de Paris (à l’angle des rues Bobillot et du Moulin-des-Prés), j’y ai redécouvert l’existence de bains-douches, fermés pour cause de rénovation.

Coïncidence, je lisais alors la revue Urbanisme, dont le numéro de septembre/octobre/novembre propose un « état des lieux » des bains-douches. Il est vrai que ce sujet, d’autant plus important dans un contexte de crise sanitaire, fait l’objet d’un récent regain d’intérêt. Citons à cet égard :

L’établissement balnéaire de la Butte-aux-Cailles : au commencement étaient des bains-douches

Bien qu’elle conserve deux entrées distinctes, à la signalétique plus discrète qu’originellement, la façade en briques rouges de l’établissement balnéaire à usage mixte de la Buttes-aux-Cailles affiche une certaine homogénéité architecturale et décorative, aux notes dites régionalistes. Ceci est l’œuvre de l’architecte de la piscine, Louis Bonnier (1856-1946), qu’il inaugure en mai 1924. 

Cependant, les bains-douches de la place Paul-Verlaine préexistaient. En effet, leur édification, votée par le conseil municipal en 1904, date du début du XXe siècle – 1908-1909. L’équipement est alimenté par les eaux tièdes (28 ° C) d’un puits artésien foré depuis 1866.
Le projet d’origine comprend déjà une piscine accolée aux bains-douches, entérinant ainsi, en matière de culture balnéaire, la séparation entre natation/sport et hygiène. Le chantier est néanmoins retardé en raison de difficultés budgétaires et de l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Il reprendra grâce aux recettes des jeux lancés pour reconstruire la Capitale.

Avant la présente rénovation, les bains-douches sont façonnés en trois principales phases :

  • le bâtiment dédié, avec toiture-terrasse, accueille d’abord 30 cabines au 1er étage ;
  • face à une forte demande, une extension est construite quelques mois après, avec 20 cabines supplémentaires ;
  • à la construction de la piscine, 41 autres cabines, réservées aux femmes, voient le jour au rez-de-chaussée, tandis que les précédentes sont remplacées pour arriver à 57 cabines pour les hommes. Une salle d’attente par niveau est aménagée.

Au milieu du XXe siècle, le bâtiment des bains-douches, éclairé par une cour anglaise, se dote d’une toiture en béton armé. Il comprend en son sous-sol le réfectoire, le vestiaire du personnel ainsi que la salle des réchauffeurs.

Les bains-douches de la Butte-aux-Cailles, une rénovation entre préservation patrimoniale et utilité publique

À l’image d’une histoire en deux temps, le projet de rénovation, réalisé par l’agence TNA Architectes, a concerné d’abord, en 2014, la piscine publique de la Butte-aux-Cailles puis les bains-douches. Tous deux sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (ISMH) depuis 1990 : il s’agit ainsi de jongler avec les exigences de préservation patrimoniale, sous le contrôle de la Direction des affaires culturelles (DRAC) et de l’architecte des bâtiments de France (ABF), et avec celles sociales, sanitaires, normatives et énergétiques.

Dès lors, plusieurs compromis ont été acceptés :

  • la conservation en l’état, à titre de témoignage, de deux cabines d’origine ;
  • une partie des cabines sont reproduites à l’identique ;
  • une autre propose des cabines neuves, qui répondent aux normes d’accessibilité, notamment en termes de largeur.

Un ascenseur permettra l’accès aux bains-douches depuis le hall d’entrée ; il est implanté au centre de l’édifice, au même titre que tous les éléments de confort ajoutés dans le vestibule, notamment. Les sèche-cheveux, les lavabos sont comme grappés au milieu des espaces afin de respecter au maximum l’enveloppe d’origine.  

Enfin, pour ce qui est des économies d’énergie, les bains-douches, comme la piscine, seront rattachés au réseau de vapeur et d’eau chaude de la Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU), issues en partie de la combustion des ordures ménagères, ainsi qu’à un data center installé au sous-sol de la piscine et occupé par un prestataire. Ce dernier point est assez inédit : cet équipement offre ainsi la possibilité de réduire l’utilisation des ressources de la CPCU.

Autre point majeur pour les bains-douches : la ventilation et le traitement de l’air. Ceux-ci seront assurés grâce à un système d’échangeur, la chaleur de l’air rejeté servant à préchauffer celui entrant.

Et si les bains-douches étaient plus inclusifs ?

Les bains-douches de la Butte-aux-Cailles devraient ainsi rejoindre les 16 autres équipements publics de ce type encore en activité, gratuitement depuis 2000, dans la Capitale. Si la municipalité engage des sommes aussi conséquentes pour leur rénovation intérieure et leur mise en accessibilité, c’est bien que leur valeur n’est pas uniquement patrimoniale. En cette période de confinement, la Ville de Paris affiche d’ailleurs sur son site Internet : « Ces équipements restent ouverts durant la crise sanitaire actuelle en tant qu’éléments essentiels à l’hygiène de ses usagers. » Environ 950 000 douches par an sont prises dans les 500 cabines parisiennes.

Passé ce rappel – nous oublions souvent le maintien du fonctionnement d’un certain nombre de bains-douches parisiens alors que leur fréquentation est à la hausse –, il convient également de préciser que, contrairement aux à priori, leurs usager.ègere.s ne sont pas uniquement des SDF isolé.e.s, loin s’en faut. L’étude Les Bains-douches de Paris : une enquête sur les lieux et leurs usages révèle en effet que les situations de précarité sont beaucoup plus diversifiées qu’il n’y paraît : exil, logement indécent (aussi bien en location qu’en propriété) ou inadapté à la taille du foyer, emploi précaire, famille en difficultés, hébergement chez un tiers ou dans un centre, nécessité de faire des économies… Cependant, une constatation mérite une attention particulière : 10 % seulement sont des femmes. Elles sont certes moins nombreuses en situation d’errance mais, comme nous l’avons vu, les bains-douches ne reçoivent pas que des sans-abris. À ce propos, les bains-douches de Charenton (XIIe arrondissement) réservent des plages horaires uniquement aux femmes tandis que des services de santé leur sont proposés. Les bains-douches ne représentent pas uniquement des espaces dédiés à l’hygiène, mais sont également, entre autres, des lieux de sociabilité grâce à l’accueil bienveillant des employé.e.s.

Cela pose la question de l’inclusivité au sein de ces établissements où se mêlent précarité financière et hydrique, hygiène, intime et santé. Il est d’ailleurs intéressant de relever que, culturellement, les bains-douches parisiens sont rattachés à la Direction de la jeunesse et des sports (DJS) et non à une direction d’action sociale, au même titre que les complexes sportifs. 

Si les bains-douches de la Butte-aux-Cailles vont sans doute bénéficier d’une cabine de rasage, d’un espace beauté et d’un lieu de dépose des bagages, le modèle pourrait être davantage tourné vers la multifonctionnalité, vers un brassage social afin de déstigmatiser les usager.ègere.s des bains-douches et de favoriser leur fréquentation par celles et ceux qui optent pour des stratégies de contournement malgré le besoin essentiel. Quelques exemples hybrides sont identifiés dans le numéro de la revue Urbanisme évoqué au début de cet article, que Claire Lévy-Vroeland et le sociologue François Ménard caractérisent de « convivialistes » et « génératifs ». Il en est ainsi des bains-douches Delessert à Lyon – les derniers de la métropole lyonnaise – dont les initiatives inspirantes, en lien avec le monde associatif, sont portées par l’association Lalca ; sur l’île de Nantes, les nouveaux bains-douches Agnès-Varda s’intègrent dans un complexe pôle santé social incluant un restaurant et un atelier de dynamisation sociale, ou encore les bains de la via Agliè, à Turin, avec son restaurant de quartier.

Au visionnage des plans du projet de rénovation des bains-douches de la Butte-aux-Cailles, projetés l’année dernière en conférence par l’architecte Thierry Nabérès de l’agence TNA, il semblerait qu’il n’y ait plus d’entrée distincte. Peut-être alors un premier plongeon vers une dichotomie moins stricte.

Pour les curieux :

L’AUTRICE
Bonjour ! Je suis Lolita Gillet. Éditrice spécialisée en immobilier et études urbaines, je souhaite partager avec vous ces fragments de cultures et de pensées. Soyez libres de réagir, pour enrichir ces modestes chroniques d’une passionnée.

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