Du mythe littéraire au mythe immobilier : quand Crusoé dînait au Plessis-Robinson

SUR UN ARBRE PERCHÉ – Si la robinsonnade, en tant que genre littéraire, a été maintes fois exploitée, la robinsonnade immobilière est moins connue. Pourtant, ce sont bien des restaurants perchés dans les châtaigniers du Plessis qui ont donné leur nom à la commune.

Vivre dans un arbre. Xavier Marmier n’est pas le premier à avoir réalisé le fantasme de l’habitat au cœur de la nature. Au milieu du XIXe siècle déjà, dans le hameau Saint-Eloi au Plessis-Piquet, le restaurant Au Grand Robinson, où les repas sont montés grâce à un système de poulie, a pignon sur rue. 

La légende raconte que son créateur, l’industriel Joseph Gueusquin, fut inspiré à la suite de la lecture d’une version helvète du célèbre roman de Daniel Defoe, intitulée Le Robinson suisse (Johann David Wyss, 1812), dans laquelle une famille s’installe dans un arbre pour se protéger des animaux sauvages. Il faut dire que le caractère bucolique du Plessis-Piquet s’y prête particulièrement : forêt, étangs… aux portes de Paris, des bords de Seine et de Marne très fréquentés. Le village s’impose donc comme un nouvel espace où il fait bon de se retrouver, au calme, et de s’aimer.

On affirme en effet que Joseph Gueusquin eut le désir de concocter un nid, tenu par un excellent cuisinier, aux couples zonant en amoureux autour du parc de Sceaux. 

Paraît-il que l’établissement était orné d’une peinture de Robinson, accompagnée de ces vers :

« Robinson ! Nom cher à l’enfance,
Que, vieux, l’on se rappelle encor, 
Dont le souvenir, doux trésors,
Nous reporte aux jours d’innocence ! »

On dit même que toute l’élite royale et aristocratique s’y pressait. Ainsi, le succès de ce troquet niché dans un arbre, devenu Le Vrai Arbre de Robinson en 1888 pour se différencier de la concurrence, est tel que s’ouvre ensuite une myriade de restaurants et de guinguettes le long de la rue Malabry. Le repaire romantique se mue ainsi en lieu de fêtes, d’amusements (balançoires, stands de tirs, courses d’ânes…), de bals voire de grivoiseries.

« Te rappelles-tu le jour de ma fête
Où tu m’emmenas rire à Robinson ?
Nous avions alors de l’amour en tête
Car nos cœurs chantaient la même chanson
J’avais mis, sachant que j’allais te plaire
Mon chapeau garni de roses pompon
Mon mantelet noir et la jupe claire
Que tu chiffonnas plus tard à Meudon »

Chanson Le voyage à Robinson, 1884. Paroles de Villemer-Delormel, musique de Lucien Collin.

On y célèbre également volontiers des mariages, au grand dam de certains.

« Aller à Robinson, un après-midi d'été, est une regrettable erreur. Y aller seul est une folie. Or j’y fus seul. La vie est un voyage qu’on ne fait bien qu’à deux, et pour parler de voyages moins longs, moins chers et moins ennuyeux que la vie, le voyage à l’Île d’Amour, par exemple, s’accommode de la solitude ; mais le voyage à Robinson ne se fait bien qu’à vingt-cinq ou trente.
(...)
Un autocar ou un char à bancs vous y transporte, dans un nuage de poudre blanche, aux cris de “Vive la Mariée !”. Justement une noce faisait son entrée au Vrai Arbre, accueillie par une java dont l’aigre mélodie me donna soif. 
(...)
Danser ? Il n’y fallait pas songer. Un cavalier ne danse, à Robinson, que la cigarette aux lèvres, un chapeau de femme sur la tête. C’est incontestablement très chic, mais cela ne va pas à tout le monde. Je dus donc me contenter de regarder valser la noce. On distribue les grotesques coiffures de carton à fanfreluches. La mariée a sur la tête une haute couronne verte, pareille à une botte de poireaux. »

Les Modes de la femme de France, 29 juillet 1923

Cet engouement populaire conduite au changement de nom : Le Plessis-Piquet devient en 1909 Le Plessis-Robinson, en hommage au héros qui a fait la réputation de la commune, où l’on se presse pour rêver et se divertir.Pourtant, les années 1960 voient la fermeture progressive des guinguettes, jusqu’à leur extinction en 1976. Le Vrai Arbre de Robinson, qui a pris le nom de Robinson Village, s’éteint lui-aussi, après avoir accueilli Johnny Halliday et son univers rappelant davantage le Far West.

Iconographie : Source, gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

L’AUTRICE
Bonjour ! Je suis Lolita Gillet. Éditrice spécialisée en immobilier et études urbaines, je souhaite partager avec vous ces fragments de cultures et de pensées. Soyez libres de réagir, pour enrichir ces modestes chroniques d’une passionnée.

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