Caroline Piochon, illustratrice et animatrice

INTERVIEW – J’ai eu l’idée de cette rencontre avec Caroline Piochon à la lecture de Chez soi, où l’autrice Mona Chollet se délecte des dessins de maisons. « Ils conjuguaient et démultipliaient deux formes de magie » : de quoi faire réfléchir sur la communication visuelle immobilière.

Bonjour Caroline. Tout d’abord, peux-tu résumer ton parcours professionnel, ton métier ?

J’ai fait des études artistiques : l’école des beaux-arts de Caen, l’école de dessin Émile Cohl à Lyon, puis je me suis spécialisée dans l’animation au sein de Gobelins, l’école de l’image. Au début, j’étais fascinée par le développement et la fabrication des décors dans les dessins animés. Finalement, j’ai fini par me passionner pour l’animation de personnages. Je travaille sur des films, dans l’animation, depuis maintenant 15 ans et, parallèlement, il m’arrive d’illustrer des livres pour enfants depuis une dizaine d’années.

Lorsque tu représentes la façade d’un immeuble, d’un logement, consultes-tu la documentation spécialisée ou des sites de promoteurs, d’agences d’architecture ?

Je collecte sans arrêt des images de lieux qui me plaisent, m’intriguent ou qui me marquent. Je fais des dossiers à thème selon les styles, les époques, les endroits, ce qui me permet d’y trouver de bonnes pistes d’inspiration. J’utilise principalement Pinterest, qui me redirige alors sur des sites de décoration d’intérieur ou des agences d’architecture. Si j’ai besoin d’imaginer un peu plus précisément l’intérieur d’une maison, je consulte des annonces immobilières. J’y découvre des détails et des informations qui m’aident à caractériser correctement une habitation, ou comprendre le fonctionnement et la disposition des pièces. C’est une mine d’or. J’ai parfois besoin d’en faire des plans pour trouver une certaine logique dans la circulation des lieux où apparaissent mes personnages, et trouver un point de vue, un angle de caméra intéressant ou avantageux.

Aussi bien pour l’extérieur que l’intérieur, quelles sont les potentielles difficultés que tu rencontres et quelles questions particulières te poses-tu ?

En général, je me demande si mes dessins correspondent au mieux à l’ambiance que le texte suggère et à l’émotion que je cherche à transmettre : est-ce un lieu inquiétant ou rassurant, douillet ou froid, agressif ou paisible ? Le lieu choisi complète-t-il, soutient-il les ressentis à la lecture ? En même temps, ce lieu ressemble-t-il ou caractérise-t-il mon personnage, en apportant d’autres informations sur son tempérament ? On ne choisit pas au hasard un contexte architectural ; on doit toujours se demander si celui-ci est le plus approprié pour transmettre la bonne émotion, la bonne ambiance. En fait, il faut toujours se soucier de la cohérence afin que le lecteur soit capable de se projeter, de comprendre vaguement la topographie du lieu. Finalement, aucune confusion ne doit gêner la lecture.

Lorsque j’illustre des endroits précis, comme l’intérieur d’une maison au Burkina Faso, au Viêtnam ou au Japon, cela n’est pas forcément simple de trouver la bonne documentation. Je n’ai pas toujours le temps de chercher autant que je le voudrais, pour saisir notamment les codes architecturaux d’une maison japonaise, comprendre les subtilités d’un art de vivre ou d’une culture qui expliquent l’agencement particulier des pièces, la disposition des meubles, etc.

J’essaie autant que possible de ne pas tomber dans le « cliché », de ne pas trahir les origines des lieux représentés, de me questionner sur mon regard trop « occidentalo-centré », tout comme je tente d’être vigilante sur les stéréotypes de genre.

Enfin, je fais attention aux droits liés à la représentation de certains lieux et édifices car, souvent, ils sont protégés. Par exemple, je peux utiliser la structure architecturale du Petit Trianon pour représenter un palais imaginaire, mais en en extirpant certains codes car le résultat ne devra pas ressembler au Petit Trianon.

❝ ON NE CHOISIT PAS AU HASARD UN CONTEXTE ARCHITECTURAL ; ON DOIT TOUJOURS SE DEMANDER SI CELUI-CI EST LE PLUS APPROPRIÉ POUR TRANSMETTRE LA BONNE ÉMOTION, LA BONNE AMBIANCE. ❞

Quels éventuels « freins » à ton imagination t’imposes-tu ? Cela dépend sans doute de l’âge du/de la lecteur/lectrice cible.

Exactement, l’âge est un facteur que je prends en compte : il m’arrive d’adapter mon style, de simplifier l’image, sans pour autant l’appauvrir. C’est super si je peux embarquer mon petit lecteur dans un lieu, lui apprendre quelque chose d’une architecture ou d’une époque, mais il ne doit pas se sentir perdu non plus.

Parler à un plus jeune public nécessite parfois des formes plus arrondies, moins de détails pour faciliter la lecture. Mais ce qui apparaît comme une contrainte m’entraîne hors de mes zones de confort et devient au contraire un vrai stimulant à l’imagination. Les freins peuvent venir aussi des clients ; je me soumets alors à leurs demandes. Il n’est pas rare que je retravaille un dessin pour que n’importe quel enfant se reconnaisse dans la cuisine de sa maison ou la place d’un village. C’est ainsi parfois difficile d’imposer des choix trop atypiques ou trop audacieux, de sortir des sentiers battus et d’autres stéréotypes.

Pour nous faire rêver de maisons, quel album/livre illustré, voire film d’animation, nous conseilles-tu de découvrir ?

Alors les décors que j’adore : La Belle au bois dormant de Disney, selon moi le plus abouti et parfait stylistiquement. J’aime ce que l’artiste Eyvind Earle (1916-2000) a introduit dans les films à cette époque. Mais aussi l’ambiance Belle Époque de La Belle et le Clochard et la charmante maison dans Là-Haut (Pixar).

J’apprécie en outre les ambiances colorées du style Mid-Century Modern, les constructions de l’architecte Frank Lloyd Wright (1857-1959)… Le réalisateur Alfred Hitchcock (1899-1980) a bien su les utiliser dans ses films, comme dans La Mort aux trousses.

Pêle-mêle pour les illustrateurs : 

  • les albums de Mary Blair (1911-1978), illustratrice pour les studios Disney dans les années 50. Sa stylisation des décors, ses choix de couleurs m’ont beaucoup influencée. Je voudrais vivre dans son monde parfois ! ;
  • le couple Alice et Martin Provensen (1918-2018 et 1916-1987), et leurs albums comme La Ronde des animaux ;
  • les décors parisiens de l’illustrateur Tadahiro Uesugi (né en 1966) ;
  • Miroslav Šašek (1916-1980), le grand illustrateur tchèque célèbre pour ses albums sur de nombreux pays et villes du monde. Il avait fait des études d’architecture d’ailleurs.

❝ J’APPRÉCIE LES AMBIANCES COLORÉES DU STYLE MID-CENTURY MODERN, LES CONSTRUCTIONS DE L’ARCHITECTE FRANK LLOYD WRIGHT. ALFRED HITCHCOCK A BIEN SU LES UTILISER DANS SES FILMS, COMME DANS LA MORT AUX TROUSSES. ❞

Que penses-tu de la place occupée par le dessin destiné, plus généralement, au grand public (publications de communication, publicité…) ?

En France, l’illustration est plutôt mal utilisée, par comparaison, par exemple, aux pays anglo-saxons où elle s’affiche sans complexe. C’est un peu pareil, je pense, pour le dessin animé 2D traditionnel, que l’on utilise davantage qu’ici pour les publicités. Je trouve également que les couvertures de romans sont soigneusement illustrées avec de belles typographies alors qu’en France, pour le même roman, on préférera souvent une photographie…

C’est encore autre chose si on compare avec le Japon où la culture visuelle, pas seulement celle du manga, y est plus forte. Le « mignon » est partout ; malheureusement, on est plus « sérieux » chez nous. Quel que soit l’endroit – trottoirs, quais de métro, signalétique – l’utilisation du dessin est plus répandue. Au final, je trouve que cela crée une ambiance plus joyeuse.

Chez nous, le travail de l’illustrateur n’est pas assez respecté et valorisé. On considère assez mal l’activité des personnes qui dessinent, dont on pense trop souvent qu’elles n’exercent pas « un vrai métier » et dont on sous-estime le prix de leur labeur… On se tourne alors vers la facilité, vers des illustrateur.trice.s peu expérimenté.e.s, des étudiant.e.s voire des amateur.trice.s parce qu’ils/elles coûtent moins cher. On fait régulièrement appel à eux/elles via des sortes de concours, vus comme des chances d’illustrer une affiche et d’être rétribué.e.s par la belle publicité que cela va soi-disant apporter à leur œuvre… Même de grandes institutions procèdent de cette façon, c’est assez désolant. Affiches de théâtre ou d’évènement, signalétique du métro… la qualité s’en ressent. Mais c’est probablement aussi un manque d’éducation à l’image, aux arts visuels et aux métiers artistiques. Il y aurait beaucoup de choses à faire dans ce sens pour gagner en qualité.

Au cours d’un voyage, d’une promenade, quel bâtiment/monument ou quel appartement ou maison a particulièrement marqué ton esprit ? pourquoi ?

Beaucoup de bâtiments en Asie m’ont marquée. Le pavillon d’argent à Kyoto résume bien à quel point une architecture peut inspirer le calme et l’équilibre, l’harmonie avec le paysage.
La charmante gare dessinée par Frank Lloyd Wright en pleine campagne japonaise à Nikko ainsi que d’autres très belles maisons qu’il a créées à Chicago (dont celle qui illustre cet article) ont vraiment retenu mon attention en raison de leur volume particulier.

J’aime beaucoup les maisons des peintres comme celle de Joaquín Sorolla y Bastida (1863-1923) à Madrid, devenue le Musée Sorolla ; celle de Claude Monet (1840-1926) à Giverny, où l’atelier fait partie de la maison sans en être séparé. Cela me fait rêver !

Et, bien sûr, en tant que normande, le Mont-Saint-Michel en hiver, quand il n’est pas saturé de touristes. C’est un édifice que je ne me lasse pas d’admirer. Une vraie prouesse, un mélange de force et de légèreté qui a su défier le temps.
Enfin, une petite maison en Normandie de style Art nouveau qui m’a toujours fait pensé à celle du lapin d’Alice au Pays des merveilles : La Bluette à Hermanville-sur-Mer, construite par Hector Guimard (1867-1942). Elle a quelque chose de joyeux et de désinvolte, à l’écart des grandes villas balnéaires de l’époque. Je suis sûre qu’elle m’inspirera un jour !

Bibliographie de Caroline Piochon

Iconographie : © Gosia Malochleb by Flickr. River Forest, IL., Frank Lloyd Wright, Historic styles designed by Wright. Licence CC BY-NC 2.0. Photographie reccadrée.

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