Une mosaïque sur la pierre d'hier et d'aujourd'hui
« Construire un peu plus haut », « choc de densification » : ces mots de Aurélien Taché, président du CNL, évoquent immédiatement les tours d’habitation, accompagnées de leurs nuages de connotations négatives voire dangereuses. Pourtant, les tours érigées massivement dans les années 1960-1970, qui concentrent tous les griefs et envahissent notre imaginaire, présentent une différence majeure par rapport à celles que l’on voit fleurir récemment : la localisation.
Le Code de la construction et de l’habitation définit l’immeuble de grande hauteur (IGH) comme « tout corps de bâtiment dont le plancher bas du dernier niveau est situé, par rapport au niveau du sol le plus haut utilisable pour les engins des services publics de secours et de lutte contre l’incendie à plus de 50 m pour les immeubles à usage d’habitation, à plus de 28 m pour tous les autres immeubles ». Pour un immeuble de très grande hauteur (ITGH), le seuil à franchir est de 200 m.
Cependant, ces définitions réglementaires liées aux normes de sûreté sont restrictives ; elles prennent mal en compte le multiusage, la notion de proportion, les technologies de construction ainsi que le contexte urbain et architectural. Or, le Council on Tall Building and Urban Habitat intègre ces éléments dans sa réflexion.
Je préfère ainsi la définition de Claire Rossignol dans sa thèse Urbanité, mixité et grand hauteur : pour une approche par les dimensions public/privé des tours mixtes et de leur production : le cas de Paris et de l’Île-de-France (2014) : « bâtiments habités d’apparence élancée (c’est-à-dire plus hauts que larges), dépassant la limite de hauteur établie par la réglementation IGH et saillants au-dessus du vélum* de l’environnement urbain dans lequel ils s’insèrent ».
* Plafond symbolique formé par la hauteur maximale globale des constructions.
Le TOD est un concept né aux États-Unis dans les années 1990, sous l’égide de l’architecte et urbaniste Peter Calthorpe (né en 1949). Il repose sur la coordination entre la construction et le développement des transports collectifs, via :
Ces qualificatifs sont très souvent substituables dans les discours sur la mobilité urbaine. Pourtant, les nuances sont significatives. À ce sujet, l’approche de Julien Demade peut être éclairante.
Selon le chercheur, les mobilités douces visent à réduire les nuisances induites par nos déplacements. Enjeux : l’urbanité.
Les mobilités durables s’attachent à la défense de l’écologie ; les mouvements humains ne sont pas seuls en cause dans le réchauffement climatique. Elles sont « celles qui impactent [l’écosystème planétaire] que d’une façon jugée acceptable ».
Quant aux mobilités actives, elles renvoient à la nécessaire activité physique pour lutter contre les effets délétères de la sédentarité sur notre santé.
Enfin, les mobilités alternatives appellent à une vision plus large. Elles englobent, en quelque sorte, les trois précédentes et marquent la prise de conscience de l’ensemble des impacts négatifs de nos déplacements.
Bien que la question fasse débat, la notion de « ville durable » est associée à celle de « ville compacte ». Le renouvellement urbain compact, en opposition à l’étalement qui entraîne exclusion sociale et disparition des terrains agricoles, favorise les petites distances entre les espaces de vie (logement, travail, commerces…) grâce à la mixité. Il repose sur le réinvestissement de fonciers péricentraux et centraux obsolètes (friches…), et donc sur la densification. La ville compacte, en reconstruisant une ville dans la ville, serait ainsi plus inclusive et respectueuse de l’environnement. La tour multifonctionnelle, voire la ville verticale (tour multifonctionnelle ouverte au public, parfaitement reliée aux équipements de la ville horizontale), contribuerait dès lors au développement de la ville durable, tout comme les politiques de TOD (cf. ci-dessus).
Cette expression est issue de l’article précédemment cité, écrit par Geoffrey Mollé, Manuel Appert et Hélène Mathian, et est illustrée par des exemples à Lyon. D’abord, ces constructions n’intègrent pas toutes des logements sociaux et/ou intermédiaires, les raisons données étant d’ordre organisationnel : la multiplicité d’acheteurs complexifierait l’opération et nuirait à l’objectif de densité. Ces logements sociaux et/ou intermédiaires recouvrent d’ailleurs de nombreux dispositifs (PLAI, PLUS, PLS, PLI) en fonction des ressources des ménages. En outre, la notion de « logement abordable » est souvent avancée, concept non défini juridiquement. Jérôme Guillaud, directeur associé de BATI-LYON PROMOTION, explique que cela « correspond à une volonté des collectivités de proposer une offre de logements aux foyers qui sont trop modestes pour devenir propriétaires mais pas assez pour être éligibles au social ». Ce sont donc les collectivités qui déterminent elles-mêmes les conditions d’accession.
Ces éléments, combinés à la variété de la typologie d’appartements disponibles, leur forte personnalisation ainsi que la hauteur singulière proprement dite entraînent une hiérarchisation de l’habitat. Le risque est donc une répartition des habitants au sein des tours selon leur richesse, une stratification de la population au sein d’une même tour. Les logements au sommet sont plutôt réservés à une « élite globalisée », mobile. La vue, l’ensoleillement, l’accès à un extérieur ont une valeur, qui décline lorsque l’on se rapproche du pied de l’immeuble. Mais ce sont les résidents aisés, jeunes et dynamiques, formant des foyers de petite taille qui sont les véritables cibles de ces nouvelles tours.
Les pans symboliques ne sont pas non plus à négliger : l’iconicité de ces bâtiments associée à une architecture innovante, parfois volontairement « starifiée », la localisation attractive, l’abondance de services revendiquée peuvent représenter pour les familles modestes des freins psychologiques, inconscients à leur installation au cœur d’espaces jusqu’alors inatteignables.
Pour les curieux
Iconographie : affiche du Metroolis, Fritz Lang, 1927 ; vue aérienne des 3 tours de Roubaix, vers 1970, Médiathèque de Roubaix
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L’AUTRICE
Bonjour ! Je suis Lolita Gillet. Éditrice spécialisée en immobilier et études urbaines, je souhaite partager avec vous ces fragments de cultures et de pensées. Soyez libres de réagir, pour enrichir ces modestes chroniques d’une passionnée.
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Ce sont les responsables politiques, a priori, qui écrivent les textes de loi. Il suffirait, par décret, d’imposer aux promoteurs un « standing » minimum : surfaces des logements, groupement d’ascenseurs, hall d’accueil et locaux pour des services en commun sous le contrôle d’un manageur, etc. Me semble-t-il !
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