Une mosaïque sur la pierre d'hier et d'aujourd'hui
D’abord détestés, les choux de Créteil, caractéristiques de la construction végétale, sont aujourd’hui appréciés dans le monde entier, jusqu’à incarner l’architecture révolutionnaire des années 1970. Étudiants zélés comme touristes intrigués s’y retrouvent, malgré les dommages causés notamment par un manque d’entretien.
Gérard Grandval, né en 1930, est l’architecte-maraîcher des fameux choux, cultivés dès 1970 à Créteil. Alors qu’ailleurs les grands ensembles cubiques poussent comme des champignons, il importe dans le quartier du Palais de cette ville nouvelle son chou, plus exactement, et ses épis de maïs.
Coïncidence ou pas, les choux de Créteil sont élevés sur des plaines où fleurissaient jadis d’importants champs nourrissant les Parisiens. L’usine Choucroute Benoist y a d’ailleurs vivement prospéré, bien garnie en légumes locaux.
Mais l’expansion de la ville, attirant toujours plus de résidents, nécessite de construire un grand nombre de logements. C’est ainsi qu’en 1968-1969 l’Office central interprofessionnel de logement (Ocil) passe commande auprès du lauréat du Prix de Rome 1961. Créteil est alors sous la houlette du maire Pierre Billotte (1906-1992), qui a profondément contribué au renouvellement innovant de la commune dont il veut faire un exemple d’épanouissement. Il faut dire aussi que Mai-68 a fait son œuvre.
❝ VOUS AVEZ LAISSÉ SE CONSTRUIRE DES HORREURS ARCHITECTURALES DANS TOUTE LA FRANCE. SI VOUS M’APPUYEZ, JE PEUX TENTER DE CONSTRUIRE UNE VRAIE VILLE À CRÉTEIL. IL Y A 800 HECTARES D’ESPACES LIBRES. ❞
Pierre Billotte, maire de Créteil (1965-1977), au général de Gaulle
Gérard Grandval conçoit ainsi des bâtiments de six étages, de forme ronde. Leur identité repose sur ces encorbellements en béton qui s’apparentent effectivement à des choux. Le programme passe de 650 logements environ à près de 1 900 dont 30 % sont à vendre et les autres à louer via quatre bailleurs sociaux. Stricto sensu, c’est finalement un seul « chou » qui a poussé, entouré de 10 « épis de maïs » de 14 niveaux, dont le diamètre est plus réduit. Ces tours, ainsi qu’un centre commercial et une école du même acabit, composent un extraordinaire bouquet d’immeubles-fleurs.
En plus de son esthétique végétale inédite en France, le génie de Grandval se reflète également, à mon sens, dans un équilibre intelligent entre la préservation de l’intimité et l’ouverture vers l’extérieur. En effet, l’architecte affirme son souhait d’offrir aux habitants un paravent via ces grands balcons-pétales, qui compensent une certaine exiguïté intérieure.
Mais protection de soi ne signifie pas repli sur soi. C’est là que les visions de Grandval et de Billotte se rejoignent : il est fondamental que l’immobilier résidentiel, dans des espaces extrêmement urbanisés et parfois disparates, permette une conversation entre les différents quartiers et avec le reste du monde. Cela passe par un nécessaire retour des dialogues avec la nature, donnant d’autant plus de sens à cette composition organique et minérale. L’architecture et l’urbanisme ne doivent pas devenir des outils commodes pour réduire au silence certaines populations et certains territoires.
Bien que le caractère novateur de la construction soit reconnu, le succès est mitigé à la livraison. Les appartements se vendent difficilement, malgré le travail du publicitaire Jacques Séguéla (né en 1934) : « Habiter dans un chou, à 2 200 Fr le m2 et 35 min de l’Opéra. » Il confessera plus tard regretter d’avoir quelque peu déprécié ce qui représente le projet d’une vie. Définitivement, le quartier prend son nom de « Cité des Choux-fleurs ». Notons que le chou central accueille désormais des étudiants.
En outre, Grandval n’a pas matérialisé l’entièreté de ses dessins, puisqu’il avait conçu des jardinières ornant ces balcons, jamais réalisées. L’idée était que de ces bacs s’échappent des pieds de vignes, qui seraient venus recouvrir les façades d’une peau végétale s’adaptant aux saisons. Les promoteurs redoutaient la complexité de leur entretien (invasion d’insectes).
Enfin, ces immeubles-fleurs ont fait les choux gras de la presse ces dernières années. En cause : problèmes d’humidité non résolus, balcons fatigués, revêtements intérieurs et extérieurs à refaire et autres dégradations, mais aussi squatt, courses-poursuites et agressions.
Les choux seraient-ils malades ? Si la réhabilitation de cet ensemble distingué du label Patrimoine du XXe siècle semble inévitable, peut-être faudrait-il également revenir à la genèse du projet : les échanges, la réconciliation des hommes et des territoires, le dépassement des antagonismes pour favoriser le vivre-ensemble.
Pour les curieux
➽ Interview de Gérard Grandval (en anglais)
➽ Catalogue partiel de l’exposition « Créteil 70’s, Architectures iconiques »
➽ « À Créteil, les Choux tiennent le coup », Les Échos (1998)
➽ « Créteil : les Choux prennent l’eau », Le Parisien (2018)
Mis à jour le 12 avril 2020
Voir mon tableau Choux de Créteil sur Pinterest
Iconographie : © ACME (CC BY-NC 2.0). Photographie recadrée.
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L’AUTRICE
Bonjour ! Je suis Lolita Gillet. Éditrice spécialisée en immobilier et études urbaines, je souhaite partager avec vous ces fragments de cultures et de pensées. Soyez libres de réagir, pour enrichir ces modestes chroniques d’une passionnée.
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