Une mosaïque sur la pierre d'hier et d'aujourd'hui
Du château Vaissier à Tourcoing, dit aussi palais du Congo, il ne reste que la maison du jardinier et le pavillon du concierge. Pourtant, cette demeure de la fin du XIXe siècle, éclair de fantaisie mauresque, représente une excentricité dans l’histoire de l’immobilier résidentiel de luxe, à l’image de son propriétaire.
L’industriel Victor Vaissier (1851-1923), autoproclamé « roi Makoko » ou « roi du Congo » du nom des savons qui ont fait sa fortune, aime en effet se faire mousser. Mais cette folie égocentrique ne lui survivra pas : à son décès, le château, déjà malmené par l’occupation allemande, entame son rude dégraissage, jusqu’à sa fonte presque complète.
Les affaires florissantes de Victor Vaissier sont les héritières de l’entreprise familiale, qui produisait, à l’origine, des détergents pour l’industrie textile. Il en hérite, avec ses frères, vers 1881 ; quelques années après, il en est le seul détenteur.
Vaissier contribue au tournant de la société : la Savonnerie des Nations devient la Savonnerie du Congo, en référence à l’exploration de ce pays faisant alors les gros titres de la presse. Il entend ainsi profiter d’un nom, martelé, qui fait vendre et qui évoque un certain imaginaire de l’exotisme et du colonialisme. Enfin, la vague hygiéniste fournit un cadre idéal au développement des produits de beauté, y compris à l’international.
C’est dans ce contexte que naît le palais. De plus, Vaissier se lasse des quatre murs délavés de l’usine et des bureaux de la savonnerie, dont l’image est déconnectée de celle, colorée, de ses savons dits des Princes du Congo. Il souhaite ainsi créer son antre de puissance ostentatoire, telle la matérialisation du rêve oriental. Autour de 1892 dans le quartier du Blanc-Seau, c’est chose faite, sous l’égide de l’architecte roubaisien Édouard Dupire-Rozan (1842-1901).
1 200 m2 de surface habitable, 600 m2 de terrasse supérieure, dôme de 35 m, 5 ha de parc, hall de 110 m2… les chiffres sont mirobolants, proportionnels à l’égocentrisme de son commanditaire. Son dôme en verre, en particulier, rappelle le Taj Mahal en Inde. Cet élément architectural, qui s’illumine la nuit, est réalisé par André Michelin (1853-1931) avant de se tourner définitivement vers le pneumatique. L’intérieur, comme l’extérieur d’ailleurs, relève d’un éclectisme assez sidérant. Salons et salle à manger indiens en côtoient d’autres à connotations mauresques ou Renaissance. Un vitrail, aux couleurs du Congo tel que le fantasmait Vaissier, éclaire le palier de l’étage.
1. La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent, Château Vaissier – la galerie du hall central, 1926.
2. La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent, Château Vaissier – la cheminée de la salle à manger indienne, 1926.
3. Médiathèque de Roubaix, Château Vaissier – cheminée de style néo-classique, 1925.
4. La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent, Brasero du château Vaissier, fin XIXe siècle.
5. La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent, Petit guéridon du château Vaissier, XIXe siècle.
Cette demeure digne des Mille et Une Nuits fait partie intégrante de l’image de marque. Associée à un nom exotique, elle autorise les extravagances publicitaires en tous genres où le château ne manque pas d’apparaître.
Sa singularité détonne dans le paysage du Nord ; ses tonalités chatoyantes se muent en argument commercial particulièrement efficace. Le palais contribue à faire de Vaissier le leader local des produits cosmétiques. Il n’est en effet pas le seul industriel du savon à exploiter les chimères orientales pour favoriser son business. En revanche, il est le seul à avoir véritablement incarné cet idéal de roi du pétrole aux accents colonialistes, douce utopie de ses riches clients happés par des lointaines senteurs.
Le château, l’homme et la marque deviennent indissociables ; la disparition de l’un conduit fatalement à celle des deux autres. C’est ainsi qu’au décès de Vaissier, alors que les affaires déclinent à cause de la guerre, sa veuve suggère à la Ville d’acquérir la demeure, mais elle refuse. La démolition est actée en 1929, après l’échec des projets envisagés par un certain M. Deconninck, homme de spectacles, qui en était le propriétaire depuis 1925. Les parcelles sont ensuite loties et revendues comme terrains à bâtir. Mais les précieux vestiges de ce palais fantasmagorique, bulle de rêves du prince du savon, continuent d’enchanter les passants, emportés par ses paillettes multicolores.
Pour les curieux : Communication de Gilles Maury, dont la thèse porte sur le château Vaissier
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L’AUTRICE
Bonjour ! Je suis Lolita Gillet. Éditrice spécialisée en immobilier et études urbaines, je souhaite partager avec vous ces fragments de cultures et de pensées. Soyez libres de réagir, pour enrichir ces modestes chroniques d’une passionnée.
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