Le Gallic : le phénix dinardais

Le Gallic à Dinard, en Bretagne, ancien hôtel Art déco par Marcel Oudin divisé en appartements
FACE À LA MER – Architecture incomprise, échec de l’activité hôtelière, occupation allemande, division en appartements… Pourtant, Le Gallic à Dinard renaît aujourdhui de ses cendres.

En octobre dernier, Le Gallic, ancien hôtel Art déco érigé à Dinard, est inscrit au titre des Monuments historiques (extérieurs et parties communes) à la demande des copropriétaires. Ce bâtiment à l’histoire douloureuse, renié des locaux, obtient enfin une certaine reconnaissance.

Œuvre de l’architecte Marcel Oudin, roi du style Art déco, le Gallic Hôtel est édifié pour le bon plaisir des riches voyageurs de la Côte d’Émeraude. Si le maire Paul Crolard soutient alors sa construction, achevée en 1927, la désapprobation du Conseil municipal est de mauvaise augure pour ce palace de six étages face à la plage de l’Écluse.

Un projet Art déco en béton

Souvent qualifié de « building », ce qui, dans nos contrées, revêt une connotation négative, le Gallic Hôtel déplaît d’abord de par sa radicale modernité. Il inaugure par ailleurs l’Art déco à Dinard.
La façade jaune Togo en béton, dada de Oudin, en a rebuté plus d’un, tandis que ses gradins-terrasses sur la façade mer, inspirés de l’architecture des sanatoriums, a laissé les habitants pantois. Il est vrai que l’air, l’eau ainsi que le soleil des stations balnéaires bretonnes et normandes étaient réputés pour leurs vertus thérapeutiques ; ce surprenant étagement permet surtout à Oudin de remédier à la mauvaise orientation du promontoire sur lequel s’élève l’édifice et de privilégier la luminosité matinale des luxueuses chambres du 1er étage.

Le côté boulevard Féart n’est pas négligé pour autant. Même si le style dit « colonial », à la mode, est bien présent, cette grande façade représente le véritable manifeste de l’Art déco vu par Oudin : le mouvement géométrique de trois compositions différentes d’ouvertures (« en paravent » ; deux balcons/une fenêtre ; série de fenêtres jumelles vers la mer) donne l’illusion d’une succession de trois façades. 

Le Gallic à Dinard en Bretagne, ancien hôtel Art déco divisé en appartements, par Marcel Oudin
Façade du Gallic (Dinard), côté boulevard Féart. © Lolita Gillet

Marcel Oudin a marqué d’autres communes bretonnes de son sceau Art déco. Au vu des similitudes architecturales, on lui attribue l’ancien hôtel de voyageurs le Celtic Hôtel (1925) situé à Saint-Cast Pen-Guen.

Une autre raison de l’aversion quelque peu persistante pour Le Gallic peut être suggérée : l’incompréhension. En effet, comme un certain nombre de bâtiments modernistes, il s’agit d’une œuvre totale pour laquelle l’extérieur a été pensé au regard de l’intérieur et inversement. Son sens doit s’apprécier dans son entièreté ; or, la très grande majorité des Dinardais n’avait qu’une idée imparfaite de l’envers du décor, la clientèle étant principalement anglo-saxonne.

L’hôtel luxueux d’un bref conte de fées

Les débuts de l’hôtel sont prometteurs. Son exploitant, Tito Galli, quelle prédestination !, n’est pas un novice et contribue au succès. En 1928, une rotonde est élevée en lieu et place de la terrasse côté mer pour y accueillir un restaurant ouvert aux non-résidents, dont l’architecte est sans doute le peu connu Alexis Daniel. Les mondanités se donnent rendez-vous dans ce palace tout confort, qui fait également le bonheur des rats et des souris ayant flairé le filon. 

❝ DANS UN GRAND HÔTEL DE DINARD UN ÉMULE D’ARSÈNE LUPIN DÉROBE PRÈS DE 200 000 FRANCS DE BIJOUX. ❞

Ce soir, 02 septembre 1938

Mais la crise de 1929 et l’attrait récent des bourgeois pour la Côte d’Azur sonnent déjà le glas du Gallic. L’hôtel ferme en 1939.
Commencent alors les sombres heures du Gallic, qui ont très certainement contribué à son déshonneur. L’immeuble fait office d’hôpital militaire de l’armée française dès septembre 1939. De juin 1940 à août 1944, la Wehrmacht s’y installe, tandis que M. Galli, britannique, est arrêté avec sa famille et envoyé au camp de Saint-Denis. Le toit-terrasse se retrouve habillé de deux batteries de défense anti-aériennes ; la rotonde est fortifiée et une station-radio est placée au sous-sol. Ce dernier, à la lecture des graffitis qui subsistent, porte encore les stigmates de cette réquisition ; il a ensuite servi d’abri et de mairie provisoire à la suite du départ des Allemands. Un indestructible bunker, à proximité de l’hôtel, rappelle constamment cette période difficile.
Les Alliés américains prennent le relais au Gallic pendant un mois.

Diviser le Gallic Hôtel pour mieux résister

Appartenant jusque-là à la société anonyme L’Écluse, spécialisée dans l’équipement balnéaire, le bâtiment est alloti en juillet 1948 par Alexis Daniel, qui conçoit également six commerces en pied d’immeuble. 
Les premiers propriétaires sont des Rennais et des Parisiens aisés, en raison du prix élevé des lots, et attentifs à la préservation du standing de l’ancien palace. Encore une fois, les Dinardais semblent écartés.

La résidence privée est aujourd’hui composée de 90 logements. La rotonde, par ailleurs, a connu des sorts variés : d’abord acquise par un garagiste dans le cadre de la fondation d’une gare routière, qui a fini de détruire le jardin, elle est passée ensuite entre les mains de plusieurs compagnies de bus. En 1974, la ville de Dinard l’achète, ainsi que les locaux arrière, et y installe l’Office de tourisme en rez-de-chaussée. Ils devraient accueillir d’ici quelque temps le Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine.

Le Gallic a bénéficié de plusieurs vagues de restauration, qui contribuent à lui redonner son éclat d’antan. Grâce à son inscription au titre des Monuments historiques, et aux subventions que cela suppose, les propriétaires, privés comme publics, espèrent réconcilier les Dinardais avec le bâtiment et apaiser la mélancolie de cet ancien hôtel né trop tard, alors que la géographie des loisirs commençait sa mutation, et né trop tôt pour être entendu.

Pour les curieux : Blog consacré au Gallic, par le copropriétaire Philippe Viger

Voir mon tableau Le Gallic/Oudin sur Pinterest

Mis à jour le 1er mars 2020


Iconographie : Collection du musée de Bretagne. Laurent-Nel Henri (1880 – 1960). Licence CC-BY-NC-ND. Image recadrée.

Envie de (re)découvrir d’autres hôtels mythiques ? Vous souvenez-vous de l’Hôtel Ruhl à Nice, palace situé sur la Promenade des Anglais ?

L’AUTRICE
Bonjour ! Je suis Lolita Gillet. Éditrice spécialisée en immobilier et études urbaines, je souhaite partager avec vous ces fragments de cultures et de pensées. Soyez libres de réagir, pour enrichir ces modestes chroniques d’une passionnée.

3 commentaires sur “Le Gallic : le phénix dinardais

  1. Intriguée par le Gallic quand je viens à Dinard, je suis très heureuse de trouver aujourd’hui son histoire grâce à vous, merci beaucoup pour ce partage !.

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  2. Merci de votre agréable commentaire. En espérant retenir votre attention avec de prochains articles ! N’hésitez pas à vous abonner ou à suivre le blog sur les réseaux sociaux 🙂

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